Le management de la supply-chain repose sur 5 piliers : la planification, le sourcing ou approvisionnement / achat, la fabrication, le stockage et le transport. Bien que tous ces piliers soient fondamentaux, la pièce maîtresse de cet ensemble est la planification. Au niveau du management de la supply-chain civile cette planification permet d’optimiser les flux et ainsi de permettre le plus faible investissement possible, limiter l’immobilisation financière (stock etc.) tout en gardant une efficacité maximale (éviter les ruptures d’approvisionnement). Le Sales and Operation Planning (S&OP) est le processus permettant d’atteindre cet objectif. Au niveau militaire, en opération, si le coût rentre évidemment en compte, la planification logistique permettra surtout de valider deux éléments précis :. La capacité à soutenir la manœuvre tactique envisagée et l’organisation du dispositif de soutien logistique.

Lors d’une opération militaire, le poste de commandement chargé de concevoir la manœuvre planifie cette dernière afin de proposer au commandant de l’opération un ordre d’opération venant formaliser la manœuvre. Au sein du poste de commandement la partie logistique doit prendre en compte les ressources et moyens à sa disposition,. Elle devra ensuite les mettre en corrélation avec la manœuvre proposée et s’assurer de sa capacité à soutenir cette manœuvre. Lors des phases de planifications qui sont formalisées au sein des état-major avec des méthodes de raisonnement à plusieurs reprises, le logisticien intervient pour présenter le dispositif logistique qu’il envisage ainsi que les forces et les faiblesses de ce dernier.

Pour pouvoir se positionner sur la capacité de soutien et l’efficience du dispositif logistique en phase de planification, le logisticien analyse essentiellement trois critères critiques : le taux de pertes estimé, le taux de chutes des matériels et le poids logistique de la force.

Le taux de pertes

Le premier est, en fonction de la manœuvre envisagée, le taux de pertes estimé pendant cette manœuvre. En effet celui-ci influe directement sur la capacité opérationnelle de l’entité qui combat. De plus, le dispositif de soutien médical si le taux de pertes est trop important, pourrait rapidement être saturé (Pour rappel : le logisticien est responsable puisque le soutien médical est pris en compte dans la logistique).

Cela rendrait alors impossible les évacuations sanitaires. De plus, et l’avant au contact de l’ennemi devrait garder la gestion de ces blessés, ce qui rendrait alors impossible ou en tout cas très difficile la suite de la manœuvre. Afin de pouvoir estimer le taux de pertes, le logisticien militaire dispose de l’appui d’un spécialiste du domaine médical qui a en sa possession des tables de taux de pertes par tranches de 24 heures. Ce taux est lié à un facteur : de l’intensité des combats prévus.

De plus le taux de pertes permet de distinguer:

  • le nombre de tués, les blessés graves nécessitant une opération (catégorisation A et B),
  • les blessés plus légers qui au bout de 24 ou 48 heures pourraient reprendre le combat (catégorisation C),
  • les pertes dues au stress du champ de bataille et les disparitions possibles.

Le tableau ci-après reprend le calcul de ces dernières avec des taux fictifs afin de donner une idée du calcul :

Exemple de calcul logistique de pertes

Exemple de calcul logistique du taux de pertes

Ce tableau permettra donc au logisticien de tenir informer son supérieur des pertes à anticiper pendant la manœuvre envisagée. Cela lui permettra de s’assurer du bon dimensionnement de la chaîne santé. Il sera amené à effectuer des demandes de moyens d’évacuation supplémentaires (ambulances et hélicoptères) et d’infrastructures médicales de campagne supplémentaires si nécessaire.

Les équipements et le taux de chute :

Le deuxième critère est le taux de chutes techniques des véhicules de combat permettant aux unités de se battre. En effet, le logisticien militaire est aussi responsable de la maintenance des matériels des unités. Pour cela, il dispose d’ateliers mobiles à chaque niveau d’unité pour diagnostiquer, évacuer et réparer les matériels. Le taux de chutes se calcul avec des tableaux de référence qui nous donnent des indices de chutes techniques et tactiques par type d’engin. En effet, les engins peuvent tomber en panne du fait d’une défaillance mécanique (on parle alors de taux de perte technique), mais aussi être endommagé au combat (on parle alors de taux de perte tactique).

Exemple de taux de chutes techniques et tactiques logistiques

Exemple de taux de pertes logistiques de matériels suivant l’intensité du combat

Ces taux de pertes calculés permettent au logisticien de s’assurer de la capacité à poursuivre la manœuvre dans le temps. De plus, connaissant à l’avance le nombre d’équipes de mécaniciens dont il dispose ainsi que leurs rendements, il pourra dans l’ordre logistique définir le temps de travail par plage de 24 heures (codifié de R1 à R4) suivant le tableau suivant :

Régime de travail pour les équipes logistique de maintenance

Le taux de perte permet également au logisticien de s’assurer de la bonne répartition de ses équipes de maintenance entre le niveau d’intervention. Le niveau 1 est effectué par les ateliers des régiments et ne dépassant pas 4 heures généralement. Le niveau d’intervention 2 lui est effectué par les ateliers du niveau supérieur au régiment. Ainsi que des vecteurs nécessaires pour évacuer les véhicules des ateliers de niveau 1 vers les ateliers de niveau 2. Cela permet d’esquisser le dispositif de maintenance qui sera nécessaire pour l’opération.

Le poids logistique et les ressources :

Le dernier critère critique est le poids logistique de la force et la consommation prévisionnelle de ses ressources. En effet pour pouvoir mener ses opérations, la force a besoin d’être approvisionnée en trois principales ressources :

  • Les vivres (comprenant l’eau de boisson),
  • les munitions comprenant l’ensemble des munitions que consomment les matériels en dotation dans l’unité
  • le carburant.

Le calcul du poids logistique de la force permet d’estimer les ressources nécessaires pour une journée de combat (la journée est l’unité de mesure utilisée dans les armées).

La formule pour le jour de combat est la suivante :

  • 1 JC = 1 JV + 1JC munition + 1JC carburant
  • JC= jour de combat
  • JV= Jour de vivres

Pour obtenir le jour de combat munition, il existe un document reprenant toutes les munitions en service au sein des armées et qui permet le calcul de ce jour par type de munitions. Ces munitions sont classifiées en tranches de A à H en fonction des spécificités de chacune. A ce titre, la tranche D qui corresponds aux munitions d’artillerie. C’est une tranche critique pour le logisticien car la quantité de matière active ainsi que le poids et le volume de cette tranche est très consommateur en vecteurs.

Pour obtenir le jour de combat (JC) carburant, il existe aussi un document permettant en fonction du facteur d’intensité de calculer l’unité d’essence (UE). Cette unité est la quantité nécessaire pour un véhicule pour effectuer 100 km à laquelle on applique des coefficients multiplicateurs en fonction du terrain, du type de combat et de la météo. Cette unité permettra alors au logisticien de s’assurer qu’il dispose de suffisamment de citernes tactiques pour soutenir l’opération. Ce critère peut rapidement devenir critique en cas d’appartenance d’unités aéromobiles au sein de l’unité. En effet la consommation des hélicoptères est significative.

La notion de flux Logistique:

Cette notion est fondamentale car c’est du choix de mode de flux que dépendra l’approvisionnement. Il est donc particulièrement important de choisir le bon type de flux (Poussé ou tiré) pour permettre à la chaîne logistique d’être efficiente.

L’estimation précédemment obtenue permettra de définir les niveaux de stocks initiaux à détenir pour chaque unité avant le début de l’opération. Cela permet de prévoir les phases de recomplètement des unités (si possible pendant des périodes de baisse de l’intensité du combat). Les vecteurs de transport disponibles permettront alors de définir quand faire les boucles logistiques sur les arrières et s’il faut créer un stock à terre ou non. Cela définira aussi les périodes de livraisons envisagées aux unités et enfin si la chaîne logistique est en flux poussé ou tiré.

Le flux poussé est un flux de ressources qui est automatiquement poussé sur l’avant sans commande préalable des unités. Ainsi on pourra utiliser le flux poussé pour l’approvisionnement en vivres car tous les jours le combattant consomme sa ration de combat (c’est un besoin fondamental du combattant) et il n’y a donc pas besoin d’attendre une demande des unités de l’avant pour leur fournir.

L’avantage du flux poussé est que l’on n’a pas besoin d’attendre une demande de livraison et donc qu’il est facile à planifier. Son inconvénient et risque majeur est que pour une raison ou pour une autre, si l’unité subordonnée n’a pas consommé la ressource précédente, elle va se voir délivrer une nouvelle ressource qu’elle devra stocker. Cela alourdira son poids logistique pouvant la gêner dans sa manœuvre tactique.

Le flux tiré quant à lui part de l’unité la plus basse consommant la ressource et sous forme de demande de livraison initie alors la délivrance de la ressource. Les échelons supérieurs doivent attendre la demande de livraison et délivrent alors la quantité strictement suffisante. Ce flux est beaucoup plus compliqué à mettre en place car il nécessite une grande réactivité de la chaîne logistique.

En revanche, il permet à l’unité de combat en bout de chaîne de n’avoir que le strict nécessaire évitant alors tout stock mort qui l’alourdirait. Le risque principal est la rupture de chaîne logistique si la consommation d’une ressource devient anormalement élevée. Ce type de flux est typiquement utilisé pour le carburant et les munitions.

Attention ces types de flux qui correspondent à la commande d’une ressource sont à dissocier avec le mode de délivrance de la ressource. En effet trop souvent On assimile flux poussé avec livraison par l’échelon supérieur et flux tiré avec réapprovisionnement par le biais des moyens des troupes situés à l’avant. Cela n’a rien à voir.

Une commande de munitions pourra être passée en flux tiré elle sera livrer par l’échelon supérieur avec ses propres vecteurs (la tranche D typiquement). Il est possible d’avoir une commande de vivres en flux poussé que l’on devra aller chercher avec nos propres vecteurs sur l’entrepôt logistique de niveau supérieur.

La règle de base communément admise étant que ce sont les unités subordonnées qui viennent chercher la ressource sur l’entrepôt de niveau supérieur avec leurs vecteurs à l’exception des munitions de tranche D qui sont livrées du niveau supérieur au niveau subordonné. Mais cela peut être ajusté et défini différemment par le chef logistique dans l’ordre d’opération.

Comme nous l’avons vu les travaux de planifications permettent au chef logistique d’assurer au commandant de l’opération que la manœuvre pourra être soutenue avec efficacité. Les calculs de charges permettent au chef de la logistique de mettre en place le dispositif logistique, de définir les niveaux de stocks dont chaque unité devra disposer avant le début de l’engagement mais aussi de la bascule des unités logistiques.

Il est d’ailleurs à noter que dans ce domaine du dispositif logistique, les unités ont besoin de stabilité car ce n’est pas pendant les phases de bascule et donc de mouvement de ces unités logistiques que l’on peut opérer des blessés, réparer des véhicules ou délivrer des ressources.

Tout en ayant besoin de stabilité, il faut aussi que les élongations soient raisonnables pour permettre un soutien efficient. Enfin un compromis doit être recherché entre autonomie des unités de combat et capacité de manœuvre. En effet plus l’on donne d’autonomie aux unités de contact plus leur poids logistique s’alourdit et donc leur agilité diminue.

Et les nouvelles technologies dans la planification logistique ?

Aujourd’hui l’apport des nouvelles technologies augmente significativement la qualité du travail de planification. En effet, depuis une dizaine d’années nous disposons de modules logistiques dans nos logiciels de commandement qui nous permettent d’initier des niveaux de stocks, de suivre cette consommation mais aussi d’automatiser les calculs de planifications.

En revanche il manque jusqu’à maintenant le traitement en temps réel des données mais aussi les adaptations des taux d’applications servant aux calculs des différentes ressources et moyens. Demain avec l’apport de SCORPION et l’arrivée de nouveaux véhicules de combat qui transmettront des flux d’informations nous pourrons disposer en temps réel du niveau de ou des ressources logistiques détenues et de la capacité opérationnelle instantanée.

Mais surtout après demain, il serait intéressant de pouvoir disposer, intégré à nos logiciels de commandement, du suivi des flux des ressources (qui se fait déjà sur un autre logiciel déconnecté de la partie tactique), mais surtout de l’apport de l’intelligence artificiel qui pourrait en temps réel pour chaque opération, adapter les taux figés de nos abaques, qui pourrait nous proposer des solutions de livraison et de convois logistiques nous permettant de gagner en efficience dans l’utilisation des vecteurs mais aussi prendre en compte le tissu local dans l’approvisionnement afin de nous offrir des solutions de recomplètement d’urgence. 

Et pour conclure…

Pour conclure, comme dans toutes supply-chain civile, l’efficience d’une chaîne logistique ne peut passer que par des travaux de planifications précis et de qualité. C’est aujourd’hui une étape incontournable pour permettre de soutenir efficacement et surtout avec agilité et résilience les unités de combat dans les armées.

De la même manière que pour les entreprises civiles, le développement des nouvelles technologies peut offrir des perspectives fantastiques pour permettre une planification optimale. Il convient dès le début dans les recherches et le développement des réseaux et moyens de commandement de prendre en compte ces capacités et de prévoir la possibilité de les intégrer.

Néanmoins, les méthodes manuelles doivent continuer à être enseignées et mises en application pour développer la résilience du modèle. En effet, les modes d’action ennemis sont de plus en plus de s’attaquer aux réseaux de communication et, en cas de réussite, cela pourrait paralyser la chaîne logistique.